C'étoit une efpece d'hommes plutôt qu'un peuple
particulier. Pour confirmer cette affertion , il ne faut que jetter les
yeux fur la deûruction de l'empire
Grec. Je commencerai par un paffage de Laonicus Chalcondyle , quoiqu'il
me paroiffe rempli de fautes & encore plus obfcur.
Les Bulgares qui Myfiens habitoienr, dit-il, dans les environs du Danube y & avoient Trinabe pour
ville capitale. Ils étoient différens des Serviens, So»rabes ou
Triballes, avec lef quels ne faut pas les confondre , puifqu'ils n'avoient pas la même origine.
Les Triballes font la nation la plus» ancienne
& la plus nombreufe de, nivers. Ils font venus dans le pays
qu'ils habitent, après être fortis des contrées qui font au-delà du
Danube, & à l'extrémité de l'Europe , favoir » de la Croatie, du
pays des Prufes qui » font fur l'Océan feptentrional, &c de la Sarmatie, qu'on appelle aujour,, d'hui la Ruffie. Le froid
exceffif qui regne dans ces climats les engagea , dit-on, à quitter
leur patrie: ils pafy, ferent le
Danube, acquirent par leurs » armes toute cette grande région qui.
s'étend jufqu'au golfe Adriatique, vis à-vis des Vénitiens, & s'y
établirent Quoiqu'ils foient divifés en plufieurs peuples, qui tous portent des noms n différens,
leurs mœurs font les mêmes, & ils parlent encore aujour» d'hui
la même langue: difperfés de tous côtés, ils ont des établiffemens
dans toute l'Europe : quelques-uns » habitent la Laconie, dans le
Péloponefe, près du Taygete ou Taenare; M un
autre peuple occupe tout le pays qui s'étend depuis la Dace jufqu'au »
Pinde , qui eft une montagne de la Theffalie.On donne à l'un & à
l'autre le nom de Blaques. Je n'ofe cepen» dant affurer qu'ils aient
paffé dans M l'Epire ;
mais je n'ignore pas que » les Triballes , les Myfiens , les IIw lyriens
, les Polonois & les Sar, mates (ou Ruffes) parlent tous la même
langue, d'où je crois être en droit de conclure qu'ils ont la
même origine ; mais je ne trouve dans aucun hiftorien comment ils
ont adopté des » mœurs différentes, & fe font établis , dans les
différens pays qu'ils occu» pent .
Il paroît y avoir de la
contradiction dans ce paffage , puifque l'auteur dit plus haut, que tous
les peuples qui ont la même origine que les Triballes, ont Çttffi les mêmes mœurs, & qu'ici il re connoît dans les mœurs une difference dont il ne
fait pas la raifon; mais cette contradiction difparoît quand on fait
attention que dans la derniere partie de ce paffage il parle des peuples
qu'il appelle Blaques, & forme à leur fujet deux doutes ; le
premier, fi des Blaques du Peloponefe, ou de ceux du continent, font
defcendus les habitans de l'Epire ; l'autre, comment il fe fait que les
Blaques n'aient pas les mêmes mœurs que les Triballes & les autres
tribus de la même nation. A ces deux doutes il paroît en joindre un
troifieme fur la maniere dont les Blaques fe font établis dans les
différens pays qu'ils occupent. Il continue ainfi, & toujours fans
répéter le nom des Blaques, comme dans les phrafes précédentes.
« Ils habitent en-deçà
& au-delà du Danube, & leur domination s'étend » dans une
vafte région: il ne faut pas » confondre la haute & la baffe Myfie
, comme fi elles étoient toutes deux en deça du Danube; il ell plus
exact de » dire que la haute Myfie eft au - delà de ce fleuve : la
baffe Myfie eft celle » que l'on dit être habitée par les Bulgares.
Chalcondyle ne parle certainement ici de la haute Myfie qu'à l'occafion des
Blaques, dont le pays a auffi été defigné fous ce nom par quelques Occidentaux , &c non
fans quelque raifon, puifque les Blaques les plus voifins du Danube
étoiept les anciens Myfiens, fuivant Nicetas. Reprenons maintenant
toutes les Blachies que nous croyons avoir trouvées dans
Chalcocondyle.Les La.nxi Blaques
du Peloponnèfe doivent être le même peuple dont Phrantfa fait un
portrait peu avantageux fous le nom d'Albanites, lorfqu'il parle des
guerres du Peloponefe: ces perfides changeoient plusieurs fois de
maîtres dans une feule emaine,
& ftipuloient toujours qu'on leur laifferoit la garde de leurs
bourgs & de leurs villes qu'ils appelloient caftras, dans leur
langue mêlée de bai barie. Cette langue, comme l'on voit, devoit être à
moitié latine.
Le même auteur, parlant
d'une expédition de Mahomet II. dans l'Etolie, & aux environs de
Neupacîe, qu'on appelloit alors Galata. Mahomet, dit-il, réduifit en
efclavage tous les habitans » de ce pays, non-feulement ceux qui
étoient Vénitiens, mais auffi fes tri» butaires de la petite Valachie ».
Nous voyons par-là à quoi peut fe rapporter le premier doute de
Chalcocondyle. X'Epire, pays voifin, de l'Etolie, a voit
des Blaques pour habitans, & cet auteûr ne savoit pas d'où ils y
étoient venus.On le voit former fur les Albaniens des affer lions
relatives aux doutes qu'ils avoient fur les Blaques. Il commence par
aflrer qu'ils ne font pas Illyriens, c'eft-àdire qu'ils ne font pas
d'origine Efclavonne; mais je fais, ajoute-t-ii, poup en avoir des
preuves &e l'avoir entendu
dire à des gens inftruits, que les Albaniens étant partis d'Epidamne,
s'étendit rent dans les parties maritimes de l'Europe qui regardent
l'orient, & qu'ayant fubjugué l'Etolie, l'Acarnanie , & une
grande partie de la Macédoine, ils s'établirent dans ces contrées, &
s'étendirent à-peu-près jufqu'au Pont-Euxin 8fi au Danube, &
jufqu'à la Theffalie.
A travers les notions
confufes de cet auteur peu inftruit, on voit que les Albaniens étoient
les mêmes qu'on appelloit Blaques, entre la Dace & le Pinde; dans
l'Etolie, ils n'étoient pas différens des petits Valaques; dans le
Peloponefe, on les appelloit indifféramment Blaques ou Albanites: mais
on peut nier que jamais un peuple parti de Dyrrachium ait fait toutes
les conquêtes que lui attribue Chalcocondy le.Tout ce qu'il y a de vrai
dans fon affertion, est que ce pays des Albanines proprement dits, étoit voifin de Dyrrachium.
Georges Acropolite, parlant des princes d'Epire
contemporains de Théodore Lafcaris, dit qu'après la mort de Michel,
Théodore fon frere gouverna l'Epire & étendit trop loin fa
domination: car il ajouta, dit - il, à fes Etats une
grande étendue de pays qu'il en leva aux Italiens, et une beaucoup é
plus grande encore qu'il conquit fur, les Bulgares. On comptoit entre
fes, conquêtes la Theffalie, Achride, Prilape, Albanum,
même Dyrrachium.Il s'empara de cette derniere ville, lofque
Pierre (de Courtenai) vint re» clamer les droits de fa femme, laquelle
étoit fœur des empereurs Baudoin Se.
Henri. Pierre fut battu près de Dirrachium , peu après fon
débarquement, paffa cette riviere, .&: alla s'engager dans le
territoire montueux & diffi cile d'Albanum, ou peu après il perp dit une bataille &c la vie .
"Dans tout ce paffage Albanum ne
paroît être
qu'une ville, qui doit plutôt avoir donné fon nom aux Albanites qu'aux
Albanois, & dont on ne devroit pas foupçonner que les habitans se
pusient tranfportés jufque dans le Peloponèfe; mais lorfque dans un
autre endroit,
Georges Acropolite parle d'un citoyen d'Albane, nommé Gulame, (Golemi) qui
campoit dans le territoire de Caftorie, avec une armée qu'il avoit levée à
Albane, on commence à croire que ce nom put devenir celui d'un grand et puisant
peuple ; et on ne peut douter que cette Albaxie ne foit la même dont
nous venons de parler, quand on confidere que la défection de Gulame,
qui fe donna à l'empereur Jean, mit dans une état fâcheux les affaires
de Michel, defpote de l'Epire & de la Theffalie ; et lorfque peu
après nous voyons ce même Michel céder à l'empereur le château de
Prilape, Bolofe et Croas (Kruja) dans l'Albane, il ne doit plus nous
refter
aucun doute que ce nom n'ait été celui d'un pays affez conlidérable,
& le même précifément qu'on a toujours appelle depuis Albanie, &
dans lequel la fortereffe de Croie devint fi fameufe, pour avoir été le
rempart des Chrétiens, lorfque Scanderberg la défendoit,& enfortoit
comme un lion de fon antre, contre les armées formidables des Ottomans,
fc. ce. Georges Acropolite parle encore d'Albane, pour dire que
l'empereur Théodore Lafcaris en donna le commandement à Conftantin
Chabaron, & que lui-même, ayant été Iajfl'é dans ces çontfees,
alla de Theffalonique à Berroce, d'où il prit le chemin d'Albane , où
il rriva par Caftorie & Achrida , en laiffant la Servie derriere
lui.
Il partit
d'Albane avec les habitans les plus diftingués de cette
contrée qu'il mena à Dyrrafchium. Il s'étoit rendu de là à Prilape ,
lorfqu'il apprit que le commandant d'Albane avoit été trahi par fa
bellefœur, & étoit prifonnier du defpote Michel. Auffi-tôt il prit
la route d'Achrida, pour tâcher de remettre fur un meilleur pied les
affaires des Albanites y &
envoya au-devant un maître d'hôtel de l'empereur ;mais il fut enfuite
trop heureux de fe retirer d'Albane: car , fijoute-t-il, la nation dus Albanites étoit
entrée dans la conjuration de Michel, & s'étoit liguée avec ce
perfide defpote. La paix fe fit fans que les Albanites rentraffent fous
l'obéiffance de Théodore Lafcaris; ainfi il n'eft pas furpreuant
qu'étant reftés unis avec le defpote, on leur ait attribué les conquêtes juefirent, en différens tems, les princes d'Epire, & qu'on
les ait confondus evec les Blaques, dont ils ne différoient que par
leurs noms.
Il n'eft pas douteux , ce me femble qu'Albane n'ait été le nom d'un pays peu éloigné de Dyrrachiujai. Je n'affurerois,
pas de même qu'il y ait eu une ville Ai ce nom, puifque les paffages qui
paroiffenile fuppofer, peuvent être expliqués par ceux qui en font le
nom d'un pays. II
me femble pourtant que le nom d'Albanites que Ducas donne toujours aux
Albanois, eft plutôt le dérivé d'un nom propre de ville que celui d'un
nom de pays ; il acheve du moins de prouver que le nom des Albanois ne
leur étoit point propre , & qu'ils le tiroient ou de leur ville
principale ou de leur pays. Il y a toute apparence que la nature de ce
pays qui étoit montagneux, donna lieu à la dénomination fous laquelle il est connu , parce qu'on appella Albes ou
Alpes les montagnes de ce canton , comme on apella Pyrénées des
montagnes qui n'en étoient pas éloignées. Mais quelle qu'ait été
l'étendue du territoire d'Albane, ou des montagnes qui donnerent leur
nom aux Albanois , ne doutons point que ce nom ne foit devenu celui de
tous les peuples qui leur reffembloient, n'ait été le synonyme ou à peu-près de celui des Blaques.
Syrgianne, dit Cantacuzène, fe rendit par Locres & l'Acarnanie chez
les Albanois qui habitent autour de la Theffalie ( & td. lit, flir l'Achelous).Ce font des bergers in idépendans avec lef quels Syrgianne
cétoit lié d'amitié, lorfqu'il commandoit en Occident. Ils lui donnerent des guides des
qui le conduifirent chez le crales de Servie. Quelque tems après
Andronic le jeune étant en Theffalie, les Albanois, qui sans avoir de
rois menoient la vie pastorale fur les montagnes de cette province ,
& qu'on appelloit Malacafiens," Pocciens & Mafarites , du nom de
leurs chefs, vinrent trouver cet empereur au nombre de douze mille, le
faluerent & lui offrirent leurs fervices. Ce n'étoit pas qu'ils
vouluffent fe foumeftre à lui; mais comme l'hiver approchoit, ils
craignoient que les Romains n'en profîtafient pour les détruire: car
outre qu'ils n'avoienr point de villes , le féjour des montagnes, où ils
fe tenoient pendant ï'été, leur devcnoit infupportable par le froid
qu'il y faifoit en hiver, qui les obligeoit de defcendre dans la c plaine
; non que ces Albanois ne fuflent belliqueux; ils l'avoient prouvé plus
d'une fois aux dépens des villes voilînes, & le prouverent encore
peu après en renouvellant leurs brigandages ordinaires dans le
territoire de plufîeurs villes fituées entre la Theffalie & Epidamne
; mais ils n'ofoient attendre dans la plaine la cavalerie Romaine qui
étoit compofée alors de toutes les troupes na*; tionales de l'empire ,& ils n'en avoïeriî rien à
craindre dans leurs montagnes. Andronic auroit même été hors d'état
de les punir, s'il n'eût mené avec lui uni troupe de Turs qui étoient
fantalfins. & très-bons archers. Ainfi la milice Romaine étoit
devenue impuiffante contre. toutes ces efpeces de fauvages qui
multiplioient le defpotime & les vexations du fouvefain & de fes
efclaves privilégiés , & il fe formoit dans le cœur de l'empire des
républiques indépendante qui abforboient toute fa fubftance. Telles
étoient les communautés Albanoises, telles les seigneuries des Valaques.
Mais je dois continuer la preuve que j'ai entreprife de la pluralité
des Valachies.
Amurat, fils d'Orchan , dit encore George Phrantza, que j'ai déja cité fur les petits Valaques d'Etolie, Amurat n'ôta aux Bulgares qu'une petite partie de leur pays. Ce fut Bajazet, fuivant le même auteur, qui après avoir conquis une partie de l'Albanie, marcha contre Miltzas, prince de Blachie, & lui enleva une grande partie de fes états. Cependant il n'ofa combattre Milrzas dans les lieux difficiles où il s'étoit retiré , & lui accorda la paix, à condition qu'il feoit fofl trutare.
Bajazet conquit auffi une bonne partie de la Servie
& de la Bulgarie ( mais on ne voit point qu'il ait jamais paffe le
Danube , d'où je conclus que cette Valachie, fur laquelle régnoit
Miltzas, étoit auffi voifine de la Servie que de la Bulgarie, &
l'une de celles qui étoient au midi du Danube).
Mahomet, fils de Bazajet, continue Phrantza
, ne fe fut pas plûtôt rendu maître de tout l'empire qu'avoit poffedé
fon pere, qu'il augmenta le tribut de la Mauro-Valachie & de la
Bogdiane. La Mauro-Valachie étoit la Valachie noire , ou plutôt celle
qu'arrofoit ce fleuveMaurus, près duquel Alexis Comnene avoir, battu
les Patzinaces, après avoir été joint à Enos par les recrues que
Meliffene avoit faites dans le pays voifin, & dont les Blaques
faifoient une bonne partie: c'étoit auffi dans cette contrée, & par
conféquent dans le voifinage de l'Hebre , qu'étoit le mont Maurus. La
Mauro-Valachie étoit donc une partie de l'ancienne Thrace ou de la
Macédoine.
Anmrat, fils de Mahomet, dit toujours Phrantza,
attaqua , mais inutilement , les Valaques & les Mauro-Valaques ,
& fe retira avec perte. Ayant enfuite entrepris une autçe expédition
contre les feuls Valaques, & ceux-ci
s'ëtafïï fait joindre par les Hongrois, les uns &e les
autres furent battus , & perdirent environ 30 mille hommes. Voilà
donc trois peuples de Valaques que connoiffoit George Phrantza, les
petits Valaques dans l'Etolie, les Mauro-Valaques dans la Thrace , ou
fur le Maurus, & les Valaques Amplement dits , que je crois être les
Valaques du nord, qui con. fervent encore ce nom. Mais il y avoit
encore une autre Valachie,dont Phrantza ne parle point, & que
Chakocondyle nous a indiquée, quoique très-confufément. Je ne parle
point de celle du Peloponefe , mais de la grande Valachie , dont le nom
paroît avoir été fubftitué à celui de la Theffalie. Llb.i, c. Pachymère,
parlant du grand projet que le defpote Michel avoit formé d'enlever
aux Latins la ville de Conftantinople 6c de s'y faire proclamer
empereur, comme iffu de la famille des Anges, fait l'énumération des
grandes alliances qui lui élevoient le courage, &e des autres
moyens qu'il avoit d'exécu1 ter de grandes entreprifes. Son fils bâtard,
nommé Jean,
continue Pachymère, pouvoit le feconder avec de grandes forces que lui
auroit fournies le peuple fur lequel il régnoit. Jean avoi
cpoufé la fille de Taronas, & régnoit fur un peuple nombreux, qui
le mettoit en état de foutenir lui feul de grandes guerres, &
defaire des conquêtes fur les voifins ; car il avoit à fes ordres un
armée compofée de cette nation, qui fut autrefois de race Grecque, qui
en partagea le nom avec les autres Grecs, & que le fameux Achille
mena au fiége de Troyes, mais qu'on appelle maintenant les Megaloblachites, Pachymère
ne pouvoit défigner plus clairement la Theflalie, ou du-moins la partie
maritime de cette contrée; mais, dit-il, on appelle
aujourd'huiMegalo-Blachites ou grands Blachites, les habitans de cette
contrée. Je crois que ces dernieres paroles ne fignifient pas moins
clairement que les Theffaliens étoient alors connus fous le nom de
grands Blaques,& leur pays fous celui de grande Blachie, ou de
grande Valachie ; mais pour que la terminaifon que Pachimère donne au
nom de ces Blaques, ne laiffe point de fcrupule fur l'explication que
j'en donne, je citerai encore Georges Acropolyte,qui dît, qu'à la fuite
d'une grande victoire, Afan, roi de Bulgarie, n'eut qu'à fe préfenter
pour recevoir les foumiffions d'Andrinople , de Didymotreche, de tout le
Bolere, de Serres , de la Pelagonie, de Prilape & des lieux voisins qu'il
parcourut aufli la grande Blachie , le rendit maître d'Elban, & fît
piller un grand pays jufqu'à l'Illyrie. Voilà donc une grande Blachie,
dont la pofition ne s'éloigne point de celle de la Theffalie ou du pays
desMegalo:BIachites, ainfî que les
appelle Pachymère ; mais ce favant auteur dit que les grands
Valaquesavoient été Grecs, qu'ils en avoient porté le nom, &
qu'Achille les avoit commandés. Ils delcendoient donc des. Theffaliens,
ce n'étoient donc point des Jarbares; leur nom ne prouve donc point une
origine Barbare, il ne prouve pas non plus le plus léger rapport avec
celui de Flaccus, fondateur d'une colonie Romaine. Quelle colonie que
celle qui auroit donné des habitans à la Myfie, à la Thrace, à l'Etolie
& au Peloponefe, fans compter l'ancien pays. des Roxolans, ou la
Valachie moderne! Mais dans le mont Haemus & au-delà, les Valaques
font les anciens Myfiens; en Theffalie, ce font les anciens Theffaliens;
en Macédoine & dans la Thrace ce font tous ceux qui s'adonnent à la
vie paftorale, ou dont les troupeaux font la richeffe. Concluons de -
là que par-tout les Valaques furent d'anciens îujeis de l'empire Romain,
des Romains,
3es Grecs, des Illyriens, des Thraces , des
Macédoniens , des Myfiens, qui devinrent Barbares en paflant fous le
joug des Barbares, qui continuerent à l'être par leur mélange avec les
Sclaves, & par leurs mœurs, &c à
qui on donna un nom commun, ou parce que dans le fen qu'on lui prêtoit
il leur convenoit à tous, ou parce que d'un peuple, à qui on l'avoit
donné par quelque raifon particuliere, on le tranfporta à tous ceux dont
la deftinée fut la même.
S'il refle encore quelque
doute fut l'identité de la grande Blachie & de la Theffalie, un
autre paflage de Georges Acropolite, que je dois citer ailleurs?
le fera ceffer, ou plutôt il doit difparoître dès à préfent, devant un
monument que nous a confervé Jean Cantacuzène; Lih.m; c'eft la Bulle
d'or, par laquelle il con- c-n,
fera à Jean l'Ange le gouvernement perpétuel & héréditaire de la
Theffalie, à laquelle il ne donne pas d'autre nom dans fa narration;
mais dans la Bulle même, la Theffalie n'eft pas nommée une feule fois:
ce font les châteaux ou pays de Blachie dont Jean l'Ange eft créé chef
& préfet, c'eft la préfeilure de Blachie qui lui eft conférée;
c'eft: dans tout le pays de Blachie que Jean doit faire nommer les empereurs aux occafïohf
accoutumées; ce font les confins de la Blachie qui doivent être
maintenus fur l'ancien pied, & c'eft à la Blachie que
Jean doit réunir les châteaux qu'il pourra recouvrer fur les
frontieres. La Bulle ajoute que Jean l'Ange fera obligé de fervir
l'empereur dans l'Occident avec tout le fojjat Romain & Albaniaqut,
& au-delà de Chriftopolis, avec un auffi grand fojfat qu'il
pourra. On appelloit ainfi le contingent provincial que devoit chaque
gouverneur, peut-être du nom latin des foffés où retranchemens que les
troupes provinciales avoient défendus dans leur infiitution. Les deux
foffats que
devoit la Theffalie font remarquables; le foffat Romain paroît être
celui des Blaques. J'ai déjà propofé une conjecture fur l'étymologie de
ce nom; en voici une autre qui n'eft pas fans vraifemblance.
Les Blaques, en général,
étoient tous ceux qui nourriffoient des troupeaux. Telle dut être la
reffource des malheureux habitans de l'empire qui, après avoir perdu
leur patrie , envahie par les Barbares, fe réfugierent au loin dans
d'autres provinces, ou qui, inquiétés fans ceffe dans la plaine où
l'ennemi ïnoiffonnoit ce qu'ils a voient femé, fçj
réfugierent dans les montagnes avec leurs troupeaux , &
s'accoutumerent infenfiblement à ne compter que fur cette partie de
leurs biens, & à préférer le féjour des montagnes à celui de la
plaine.
Si le mont Hœmus fut toujours appelle Balkan ou Balk dans la
langue du pays, les Blaches ou Blaques furent d'abord leshabitans de
cette montagne, & leur nom paffa à tous ceux qui leur reffembloient,
finon on les appella ainfl dans le fens de metanaftes ou de peuples
tranfplantés, comme un de nos annaliftes a dit, fous l'an 744 les Francs
aile- Botefl rem en Baviere, lorfqu'arriva ce yvalus, le Romain jortit del'Allemagne. Walus'
eft ici une émigration; ainfi les Romains fortis de la Sbuabe en 744,
étoient des Walaqiies ou des émigrans, comme le furent la plupart des
Valaques qui avoient fui devant les Barbares, ioit pour paffer d'une
province à l'autre, ioit pour fe réfugier fur les montagnes. Si on me
demande comment ce mot put être employé parles Grecs, je répondrai
qu'ils en adopterent pluiieurs autres, que leur apprirent les Francs,
les Germains & les Bretons, dont ils avoient toujours grand nombre
dans leurs armées, & qui compofoient lagarde du palais; peut-être même les
habitans de ï'Haemus, dont uné granâV
partie devoit defcendre des petits Goths , le donnerent-ils ce nom dans
une langue qui ne leurétoit pas étrangere.
Il me reftcroit à dire
comment les Blaques s'établirent au nord du Danube; mais fi je n'ai pas
répondu à cette queftion par les obfervations que j'aï faites fur la
conduite des Bulgares à l'égard de leurs prifonniers ; fi l'alliance
perpétuelle de cette nation avec les Barbares qui furent les plus
puiffans au nord du Danube, ne prouve pas la facilité avec laquelle ils
purent faire & foutenir cet établiffement, je puis répondre qu'après
tout ce que j'ai prouvé au fujet des Walaques, il y auroit de
l'injuftice à alléguer contre moi une omiffion dont perfonne ne doit
être furpris de la part des hiftoriens Grecs. J'ai pourtant encore une
autre réponfe que me fournit l'hiftoire des Blaques & des Bulgares.
Lorfqu'Alexis l'Ange remportait avec rapidité ces petits avantages par
lefquels j'ai fini l'hiftoire des Blaques, fa perte étoit déjà réfolue
& préparée; bien-tôt après, c'eft-à-dire en 1204 Conftantinople
tomba au pouvoir des Latins, & cet évenement changea beaucoup la
face des affaires relative^ ment aux Bulgares & aux Walaques.
Cette union des Romains et des Blaïqes mérite peut-être plus notre attention que tous les évenemens de
cette guerre, qui enfanglanta dans toutes fes parties la nouvelle
conquête des Latins, & entraîna k ruine des villes les plus
floriffantes de la Thrace: on y voyoit long-tems après, avec les relies
de la magnificence & du luxe le plus recherché , l'horreur de la
folitude & le fpectacle de la défolation. Tout ce que l'empire
perdit alors ne fut pas fans doute un accroiffement aux forces & à
la richeffe des Blaques& des Scythes; mais on peut affurer que les
premiers fur-tout, outre les Romains qu'ils avoient d'abord accueillis ,
reçurent beaucoup d'autres fugitifs, & enleve- . rent aux Latins
une grande partie da leurs nouveaux fujets; ce dut être la fuite des
conquêtes faites & perdues fuccelîivement par les uns & par les
autres; car les Blaques ne furent pas toujours heureux: mais ce que
Nicetas , qui finit ici fon hiftoire, laiffe à nos conjecturesGeorges
Acropolite nous l'apprend comme un fait certain. Cet hiftorien, ou ne
s'accorde pas avec Nicetas fur d'autres points, ou nous cr* apprend plus
que lui. Après avoir dit, par exemple, qu'Afan avoit deux fref es,
Pierre & Jean, il ajoute qu'ilretinî ç
ce dernier auprès de lui, & qu'il donna à Pierre, pour la gouverner
en toute fouveraineté , une province, qu'on appella , par cette raifon,
le pays Pierre, & dont les principales villes étoient la grande
Parathlaba & Probate. Afan, dit-il, gouverna ce qui lui re£ toit
d'une maniere vraiment royale , &e pendant
neuf ans entiers. Au bout de ce tems il fut tué par Ibangus, qui étoit
fon coufin.germain, l'un & l'autre étant fortis de deux freres.
Jean, frere d'Afan, fut fon unique héritier, parce que les Bulgares ne
voulurent point fe foumettre à Pierre , & que Jean, fils d'Afan y
étoit encore mineur. C'étoit le frere d'Afan qui étoit empereur des
Bulgares (les Grecs lui donnent le titre de BaJT' leus, comme à leur
fouverain), lorfqu les Latins devinrent leurs voifins.
Georges Acropolite rapporte enfuit© la défaite de
Baudoin par les Scythes , que Jean avoit envoyés au fecours
d'Andrinople, après s'être emparé luimême de Philippopole. Les habitant
d'Andrinople que Jean avoit préfervés du joug des Latins, refuferent de
fubir le fien, & après avoir effayé vainement de le leur faire
recevoir, indigné de leur mauvaifefoi, il courut toute la Macédoine ,
ravageant & dctruifant les
villes, dont il emmenoit tous les habitans, afin que fi jamais l'empire
Gree fe relevoit, on ne trouvât quedes défer» dans les endroits où il y
avoit eu des hommes ôc des villes. Ainfi il détruifit de fond en comble
Philippopole, grande & belle ville fituée fur l'Hébre, Héraclée,
Panion, Raedefte, Chariupole Trajanople, Macrès, Claudiopole,
Mofynople, Peritheorie, & un grand nombre d'autres, dont il feroit
trop long de rapporter les noms. Tous les habitant qu'il en tira, tk qui
faifoient un peuple immenfe , il les tranfporta fur le Danube, où il
leur bâtit des villes, auxquels les il fît donner les mêmes noms
qu'avoient eu celles qu'il venoit de détruire.. C'étoit, difoit-il, pouf
reparer les pertes que les Bulgares avoient effuyées de la part de ce
Bafile qu'on avoit appellé le Bulganortone, par où il faifoit entendre
qu'il méritoit à auffi jufte titre le furnom de Romaeoctone. La haine
desRomains lui donna celui de Scylojoanlies , ou de chien de Jean.
Jean mourut fous les murs de TheflVlonique, d'une
pleuréfie, & fon fils Phorilas ou Borilas, s'empara du trône. Jean,,
fils d'Afan, fe réfugia chez les Scythes ces Scythes étoient les Rofes,
ainfi que. lçs appelle l'hiftorien que no-uis fuivons,,
ou les Eufles, comme on les appelle aujourd'hui. Jean , fils d'Afan ,
pafla quelque tems chez eux, & s'y occupa à raffembler autant
d'aventuriers qu'il en put mettre dans l'es intérêts. Lorfqu'il fe crut
aflez fort, il réclama lHiéritage de fon pere, attaqua Borilas, le
vainquit, & fe rendit maître d'un grand pays. Baïilas reftoit à
Trinobe; il y foutint un fiége de fept ans, au bout defquels fes
partifans fe rendirent au fils d'Afan , & lui laifierent la liberté
de fuir; mais il fut pris,
Jean lui fit crever les yeux, après quoi il refta paifibje poffeffeur de
la Bulgarie. Il eft remarquable que Georges Acropolite & Nicephore
Gregoras ne donnent jamais d'autre nom au pays fur lequel régna la
poftérité d'A fan. Le fecond ne nomme la Blachie qu'une fois,& pour
la diitinguer évidemment de la Bulgarie; c'eft à l'endroit où parlant
d'un Craie de Servie , qui fe rendit fameux au tems d'Andronique II. il
fait l'énumération de fes mariages, telle que je la rapporterai dans la
fuite.
Mais c'eft bien mal connoître
I'hiftoire ancienne de l'Europe, que d'avan- *2i, cer, comme l'a fait
uagéographç moderv, ne, que les Valaques, ,autres peuples, Barbares ,
prjjrept la place des Gotb
d'Euphilas; au neuvieme &e dixîemé
fiecles, & fe diviferent en Ugroblaques &en Moldaublaques;
que ces peuple, fe convertirent à la foi dès le dixieme » liecle,
mais qu'il n'y eut pas beaucoup » de religion (chez eux) jufqu'au trei» zieme
fiecle, qu'ils fe foumirent au patriarche de Conftantinople, dont
ils » prirent la créance & le fchifme». C'eft ainfi qu'on a défiguré
l'hiftoire de l'Europe , pendant qu'on étudioit foigneufement celle de
l'Afrique & de l'Afie, & les beaux fiecles de la Grece & de
Rome , qui n'ont rien de commun avec l'état préfent d'aucun peuple de la
terre; mais fuirons encore l'hiftoire du nouveau royaume de Bulgarie,
jufqu'à ce qu'elle nous conduife à l'établiffement des Tartares dans le
voifinage de cet empire.
Théodore Comnene, avant Téodore 'écrop. c. Lafcaris avoit
recherché l'alliance de Jean Afan, ou plutôt de Jean, fils d'Afan,
& l'avoit cimentée par le mariage de fon frere Manuel avec une fille
naturelle de Jean; mais au mépris de ce (. traité,
il attaqua le roi de Bulgarie, parce qu'il crut le pouvoir faire avec
avantage. Il fut défait & pris, après quoi le fils d'Afan fit toutes
les conquêtes dont j'ai parlé plus haut. Cependant
il fouffrit que Manuel, frere de Théodore , fe fît un état indépendant
de lui & de l'empire, & l'en laiffa jouir pailiblement, tant que
fubfifta le mariage de Manuel avec fa fille naturelle. Le fils e, d'Afan avoit pour" femme légitime Marie , qui étoit Hongroife, & qui l'avoit rendu pere d'une princeffe nommée Hé- c, JH lene,
laquelle n'avoit que neuf ans lorf. que l'empereur Jean Ducas la fit
demander à fon pere pour Théodore Lafcaris , fon fils, qui n'avoit
qu'onze ans. Le mariage fut fait par le patriarche Grec de
Conftantinople, & à cette occafion, comme auffi en confidération de
Cette alliance , il fut ftatué par un décret impérial & fynodal, que
l'évêque tle Trinobe, jufqu'aiors foumis au patriarche, en feroit
déformais indépendant , &c prendroit
lui-même le titre de patriarche: c'eft de ce tems & de cet a&e
ique l'on doit dater l'indépendance de I eglife de Valachie, comme de
celle de Eulgarie.
Cependant le fils d'Afan fe repentit c,,
d'avoir trop bien fervi les Grecs, enleva fa propre filie avant que le
mariage fût confommé, & peu après il fit alliance avec les Latins,
dont il ne vouloit pas ïa ruine , & à qui il venoit d'arriver un
çenfort. Vers ce tems, dit Georges Acro-polite,les refles des Scythes pafterent té Danube avec leurs femmes
& lears enfans. Cette nation avoit été réduite à la dure néceffité
d'abandonner fa patrie ravagée par les Tartares : ceux qui avoient
échappé à l'épée de ces redoutables brigands, pafferent le Danube fur
des outres, malgré la refiftance des Bulgares qui ne vouloient pas
donner le paffage à une auffi grande multitude, & une partie alla
s'emparer de phîfieurs cantons de la Macédoine ; d'autres chercherent
leur fubfiftance dans les plaines de l'Hebre; d'autres dependirent plus
.bas, & errerent fur le bas Hebre, dans la partie de fon cours où
les peuples voifins lui donnoient dès-lors le nom de Maritze. Par-tout
ils pillerent, ravagerent , & firent des prifonniers qu'ils
vendirent aux habitans des grandes villes, dont ils n'avoient pu fe
rendre maîtres , telles qu'Andrinople, Didymothaîque, & autres.
Les Latins déjà
réconciliés avec Jean Afan, firent alliance avec ces Barbares vagabonds,
qui les fervirent bien contre l'empereur Jean Ducas. Il paroît qu'ils
étoient les mêmes qui avoient pris le malheureux Baudoin , & la
maniere dojntils avoient parlé le Danube,indique
tjir* c'étoient des Comans &c non des Ruffes,les mêmes dontNicetas
Choniate fait ce portrait, qui ne peut convenir aux Ruffes: « lisent,
dit - il, pour ar- Mam n mes un arc & un carquois qu'ils penfndent à leur épaule & qui eft rempli de u,
fleches ; quelques uns d'entre eux lancent des javelots, ou s'en
fervent » dans le combat au-lieu de piques. Le » même cheval porte fon
maître dans lé » combat & le nourrit de fon fang j .fi c'eft
une cavalle, un cuir rempli M de liège, & fi bien coufu qu'il n'y h entre pas une goutte d'eau, eft tout ce dont un Scythe a befoin pour » pafler les plus grands fleuves, il fe
met deffus le cuir avec fa felle
&c fes » armes, tient fon cheval par la queue » &c paffe le
Danube, qui eft plutôt une .; » mer qu'un fleuve, fans autre bateau » que fon cuir, &c fans
autre rameur que » fon cheval ». Ces mœurs n'étoient certainement pas
celles des Rufles qui paffoient chez les Grecs pour'être trèschrétiens.
On peut donc affurer que les Comans, jufqu'alors les fideles alliés des
Blaques & des Bulgares, furent te peuple que les Tartares forcerent
de le difperfer. On fut en Occident, & fur-tout dans la Hongrie,
qu'ils n'aoient pas tous paffe le Danube pour Tome. XII,
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